J’ai avalé mon histoire comme j’ai mangé la tienne, Poète, Sculpteur ou Peintre d’éternité au présent… Quel repas, dis-tu, avons-nous partagé ? À quand, et avec qui , le prochain ? On verra... On lira ... | Marie-Thérèse PEYRIN - Janvier 2015
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ECRIRE par et pour LE TIERS LIVRE | Sur consigne | Mars 2023 |  # Revisite # 03 | L'écriture à vie nue ( façon Duras)

 

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"Il est là le milliardaire, dans le ciel nu.

Et dessous il y a les gens. Par milliers [...]"

 

Marguerite Duras, L'été 80

 

 # Revisite # 03 | L'écriture à vie nue

 

ATELIERS proposé par François BON

 

[ 1 ]

Donc, voici, qu’elle écrit pour Tiers-Livre. Elle n’est pas pigiste, ni écrivain, elle lit chaque jour des dizaines de phrases sur l’écran d’ordinateur et beaucoup dans les livres qu’elle achète. Elle dit qu’elle écrit d’abord à travers ce qu’elle choisit de lire ou de vivre. Elle n’est pas copiste, ni agrégée, ni typographe, ni imprimeuse, ni journaliste, ni professeure, ni obligée. Rien ne vient aussi bien que l’habitude prise d’aligner des mots devant ses yeux, de les prononcer à voix haute parfois. Elle aime en palper la charge poétique rythmique. Ecrire la langue lue, lire la langue écrite. Parce qu’elle a pu l’apprendre dans l’enfance dans les voix de quelques autres, devenus lointain.e.s, flouté.e.s, relégué.e.s aux légendes. Des noms, des prénoms, des fonctions. « On n’oublie les détails et on oublie les phrases, mais jamais les lieux ». Le frère disait cela l’autre jour au téléphone après une incinération. L’emplacement et la disparition des corps, leur marge de manœuvre, leur immobilité fascinante, leur orientation dans la pièce, leur ensevelissement définitif. Etrangeté lancinante d’un souvenir commun persistant et perturbant. Elle pourrait lister ces images indélébiles. Elle pourrait parler des émotions perdues. Elle pourrait hiérarchiser l’impact, peaufiner les descriptions, documenter les scènes à la manière des archéologues. Elle n’a que l’embarras des choix pour les lieux de prélèvement. La vie grouille de circonstances, d’instants de vie dont parlait Virginia Woolf, de la folie ou du calme relatif, d’anecdotes perpétuelles. Des histoires sur des histoires, des blablas à n’en plus dormir, des ragots, des discours, des postures, des maladresses, des combats, des rires, des sanglots, des pudeurs, des horreurs. Des orgueils, des moqueries, des perfidies et des passages à l’acte. Elle lit tout cela dans les journaux en zappant, le malheur lui fait mal au ventre, elle n’est jamais neutre, détachée. Elle encaisse les dividendes négatifs et poisseux de sa réflexion quotidienne sur le monde. Elle pleure en silence. Ecrire en pleurant n’est pourtant pas ce qu’on imagine de plus courant Ecrire sèchement est ce qu’on demande aux bureaucrates et aux technicien.n.e.s de la chaîne du livre. Elle pense soudain aux autres métiers invisibles, aux nettoyeuses et aux nettoyeurs de crasse collective, aux mal payé.e.s , aux malmené.e.s. A cette histoire d’éboueurs Parisiens. Car c’est le buzz de la semaine avec la Marseillaise entonnée à l’Assemblée hier, jeudi, contre le 49,3. Le défi. C’est écrit un peu partout avec des partis pris. Une liste d’agents de nettoyage qu’on réquisitionne par les rouages républicains. Pour les empêcher de faire grève et de saloper les environs de l’Elysée. Libé journal parle de cela, d’autres fulminent ou se gargarisent de prophéties menaçantes. Ecrire la vie de la cité est un bon sujet, un alibi fleuve, un puits sans fonds. Écrire ce qui se passe autour, tel que perçu, a minima se faire une idée de l’état des lieux et des liens. Mais aujourd’hui, elle regarde aussi le ciel à travers la baie vitrée. Elle doit tourner la tête, elle ne regarde pas longtemps. Elle voit les immeubles en cascades brouillonnes et pourtant arithmétiques. Elle ne voit pas la foule, tout ce qui passe et se passe, même pas à l’intérieur de l’immeuble. Le voisinage est invisible lui aussi , muré dans sa vie privée. Le fantasme de Pérec d’enlever les façades et les cloisons pour les voir est pure fantaisie d’enfant perdu. Elle pense aux enfants, à tous les enfants, avec leurs éclats de voix, leurs mouvements agiles qui lui manquent, elles les imaginent en cage dans les écoles et les maisons, dans la crèche familiale d’à côté dont elle voit le panneau de publicité, un bout de toit moche surplombé d’un grillage rouillé (que les enfants ne voient pas) et un minuscule bout de cour où des plots de plastic coloré semblent les attendre. Bientôt ils sortiront dehors avec des ballons, des pédibus, des jouets qui roulent, et les comptines retentiront. La compagnie des bébés est pourtant pathétique. La plupart réclame leur mère, ou quelqu’un qui n’est pas là, dont les bras et le regard sont trop intermittents, matin et soir, des êtres tutélaires qu’il faut attendre sans avoir le sens du temps. « Un dodo et tu verras ta mère, Mange et dors petit enfant aux joues barbouillées de larmes et de compote ». Les bébés pleurent souvent, certains plus que d’autres, on dit : « lui ou elle c’est un chouineur, une chouineuse, et de l’autre qu’il ou elle est sage comme une image », une image qui ne réclame pas plus qu’on ne lui donne. C’est pratique. Un bébé facile qui n’empêche pas de travailler, de dormir, ou de faire la fête. Les enfants savent vite s’ils sont désirés, encombrants, en sécurité ou non. Aujourd’hui leur sevrage des corps parentaux est tellement brutal (on dit que c’est la norme sociale) qu’elle s’étonne qu’il n’y ait pas davantage d’abruti.e.s et de rébellions dans les rues. Elle imagine des manifestations d’enfants réclamant des adultes qu’ils sachent mieux mesurer les conséquences pratiques d’une mise au monde, de leur faim de sollicitude et de respect qui nécessite des présences non virtuelles et un détachement progressif sans violence. La sécurité de base et la confiance en l’autre dont sont dépourvu.e.s bien des contemporain.e.s pour avancer sereinement, courageusement et honnêtement dans l'existence. La compagnie des enfants est la plus instructive qui soit. L’asymétrie des forces physiques et mentales les met sous la responsabilité plénière de qui les aide à grandir. Marguerite Duras aimait les enfants. Le sien, en particulier, Outa, qui est un enfant libre des années 68. Et il le lui a bien rendu. On disait pourtant que cette femme si sauvage et brillante était folle. Qu’elle écrivait parfois n’importe quoi. Surtout au cinéma. On a persiflé que son style ou que sa syntaxe ne relevaient pas de la Doxa Académique, elle est pourtant entrée à pleine voix dans la Pléiade. Comme quoi... C’est son visage ridé d’après la trachéo et un peu moqueur que la narratrice regarde tous les jours, devant elle, au-dessus de sa tête, à côté de celui de l’enfant d’ici. Au-dessus de ce qui est, non pas sa table de travail mais son espace vertical à lire et à écrire, à rêver... [A suivre ?].

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